Mystic Flown, tome 1 : Le Maître des arcanes, Dana B. Chalys

« Les étudiants commencèrent à s’agiter. Des murmures formaient un bruit de fond sourd et détestable. Ils gagnèrent en intensité avec l’avancé de l’intriguant Sadge Bawen qui fendit la foule sans lui accorder la moindre attention. […] Si Sadge ignora tout le monde, il remarqua en revanche l’étudiante solitaire autour de laquelle s’était formé un large périmètre de sécurité. Cette dernière ne retint de lui que son odeur de pluie automnale. »

Une guerre de l’ombre couve depuis longtemps entre les royaumes du Continent. Dans ce jeu de forces et de magie, la découverte des armures robotisées mobiles devient l’enjeu stratégique de tous. Ces ARM, vestiges d’une civilisation disparue depuis 1200 ans, offriraient un avantage hautement dissuasif si elles voulaient bien révéler leur secret.

Mais la pièce manquante demeure introuvable. L’autre solution pour s’assurer la victoire serait de mettre la main sur le maître des arcanes porteur de l’as de la Mort et du Joker Sadge. Héritier malgré lui de ce pouvoir destructeur, il est traqué pour ses capacités et trouve refuge à la prestigieuse université des magies. Il y rencontre Diba, une émotionnelle que tout le monde fuit à cause de ses dons aussi dévastateurs qu’incontrôlables. Tous deux vont tenter de percer le mystère qui entoure l’origine des ARM, sans se douter que ces robots de guerre ne sont pas la pire des menaces à craindre.


En voyant la couverture absolument sublime de ce livre, puis en lisant le résumé, j’ai eu un coup de cœur immédiat. Coup de cœur renouvelé à la lecture !

Ce roman, premier d’une série qui sera je l’espère prospère, prend le parti de mêler fantasy et science-fiction et s’y adonne avec brio !

Nous suivons Sadge et Diba, deux âmes solitaires qui s’attirent par leur tristesse mutuelle, tout le long de leur première année à l’université de Puy-en-Embruns.

Le décor se pose doucement, avec précision, et nous fait découvrir au fur et à mesure l’univers, ses rouages, sa politique, ses enjeux.

Ici, magie et technologie sont liées, et elles sont indéniablement sources de tension et de manigances politique, assez pour traquer un enfant, devenu adulte au début du roman, sur dix ans, assez pour que chaque parti soit suspicieux et soupçonneux de l’autre. Assez pour avoir le potentiel de déclencher une guerre.

J’ai beaucoup aimé la narration, qui est à la fois presque omnisciente et clairement du côté de Sadge et Diba.  Elle a cette tendance à nous faire nous questionner sur les personnages et leurs intentions, tout en influant notre jugement pour nous mener dans le sens de celui d’un des étudiants.

Cette narration est d’autant plus intéressante, à mon sens, qu’elle offre des impressions différentes d’un même personnage en fonction de qui le rencontre : si Sadge a un avis très tranché et négatif sur une personne, Diba, qui n’a pas son passif avec celle-ci et qui a appris à toujours contrôler ses émotions, offre un regard différent, regard dans lequel la narration nous plonge totalement. Des personnages deviennent ainsi ambigus, complexes, mystérieux.

En parlant de personnages, ce roman en comporte de nombreux, aux caractères et aux histoires variées. On prend plaisir à les découvrir petit à petit, à les lire se construire, évoluer.

Sadge, s’il est présenté au début du roman comme un garçon fatigué de fuir, las de la solitude imposée par ses hautes valeurs morales, goûte pendant quelque temps à ce qu’il a toujours rêvé : une vie stable et entourée. Il détonne forcément dans ce milieu très guindé, où il s’imagine que toutes et tous ont eu une vie tranquille et dorée et où, il le sait, il n’a pas sa place en tant que fugitif ne se liant jamais avec personne. Et pourtant, il se prend au jeu, et se laisse embarquer dans ce qu’il a toujours voulu expérimenter : l’amitié, l’intimité, la familiarité.

Diba, quant à elle, est présentée comme une solitaire qui a un contrôle absolu sur toute sa vie… si ce n’est sur sa solitude. Parce que son pouvoir, lié aux émotions qu’elle ressent, est puissant, trop puissant, on la fuit ; personne n’ose s’en approcher, de peur de mourir, personne n’ose la contredire, de peur de la faire exploser de colère, personne n’ose… sauf Sadge, qui reconnaît en elle son désespoir solitaire.

J’ai beaucoup apprécié leur dynamique, si contraire et pourtant si semblable : Diba n’espère rien de la vie, elle la subit ; Sadge rêve d’un meilleur avenir, il subit son présent et son passé. Ce que l’un ne peut obtenir, il essaie de l’offrir à l’autre. Cela mène les deux personnages à évoluer, à explorer leurs émotions, leurs envies, parfois pour la première fois de leur vie, parfois au péril de leur vie.

La question de la volonté, du libre arbitre, et de ce que l’on fait de sa propre vie est réellement au cœur de ce roman. Seulement voilà, il n’est pas question de changement radical, de retournement de situation ; il s’agit d’essayer de sortir son épingle du jeu, de faire contre mauvaise fortune bon cœur, de s’offrir, envers et contre tout, et surtout contre le monde qui décide à la place des autres, le meilleur de ce que la vie peut nous donner.

Sadge est un fuyard, et il le restera. De même, Diba est exclue, et elle le restera. Et pourtant, ils se trouvent, se forgent une amitié qui leur est propre, qui fonctionne. Il s’ouvre, doucement, difficilement, par à coups, aux autres, elle prend confiance en elle, en ses capacités, en un avenir.

S’ils sont au début deux inconnus, ils deviennent à la fin de ce premier tome si familiers l’un envers l’autre, qu’ils semblent se connaître depuis toujours. Il la pousse ainsi à poursuivre ses rêves, elle le pousse.

Bien que le maître des cartes et l’émotionnelle soient les personnages principaux, les autres protagonistes ne sont pas en reste, et chacun est traité pour lui-même, bien que des zones d’ombre soient toujours présentes puisque la narration se concentre exclusivement sur ce qui touche à Sadge et Diba.

Si l’intrigue tourne autour de deux étudiants, ce n’est pas pour autant qu’ils sont coupés du monde, bien au contraire : leurs recherches s’effectuent sur des sujets brûlants d’actualité, puisqu’ils s’intéressent aux ARM, mécas de combat retrouvés lors de fouilles archéologiques il y a un peu moins d’une vingtaine d’années, et dont personne ne peut expliquer la présence. Civilisation perdue, qui n’aurait laissé derrière elle en tout et pour tout que ces robots et des traces archéologiques incohérentes avec ce niveau de technologie et de magie ? Ou le mystère est-il plus complexe, l’explication plus lointaine que cela ?

Une chose est sûre, toutes et tous, armé.e)s comme étudiants et étudiantes, intrigant(e)s de royaumes comme passionné(e)s de technomagie, veulent percer le secret de ces immenses bijoux de technologie, qui sont invincibles… ou presque.

Parce que dans ce monde où seul un faible pourcentage de la population peut invoquer la magie, chacun à des aptitudes différentes : certains sont plus doués avec les plantes, d’autres avec les pierres, d’autres encore lorsqu’ils font des rituels, etc. Cela crée un système magique complexe, varié, qu’il est intéressant de découvrir, d’appréhender. D’autant plus que chaque type de magie ne se ressemble pas, et que certains sont plus rares que d’autres. C’est le cas de ceux que maîtrisent nos protagonistes principaux, l’un étant maître de carte, c’est-à-dire que sa magie provient d’un jeu de cartes unique qu’il a reçu à la naissance, et qu’il doit apprendre à maîtriser plus ou moins par lui-même, l’autre une émotionnelle, sa magie étant directement liée à ses émotions, lui conférant ainsi une puissance dévastatrice pour son entourage et pour elle-même.

Les deux sont en marge du monde, pour des raisons assez différentes : pour le maître carte, il ne peut réellement faire partie d’une communauté, puisque sa catégorie de magie est unique à chaque magicien, ce qui fait que chaque jeu de cartes est complètement différent d’un autre. De par ses deux atouts puissants et mortels, son jeu est également convoité par les royaumes, parce qu’il possède la seule magie capable d’arrêter les ARM, en causant la mort de leur pilote. Pour l’émotionnelle, puisque chaque sentiment est une bombe prête à exploser, elle est fuie, elle est redoutée, elle est crainte ; et, à dire vrai, peu de personnes se soucient réellement de sa survie, puisqu’elle représente avant tout une menace. Peu importe donc qu’aucun émotionnel n’ait réussi à passer le cap des trente ans, peu importe qu’ils meurent rapidement dans la solitude la plus totale : on nous fait comprendre que peu sont capables de voir ces magiciens au-delà de leurs capacités destructrices, de leur handicap. Diba est pour beaucoup une émotionnelle d’abord, une humaine peut-être ensuite.

Plus en marge de la magie, malgré son omniprésence, des enjeux politiques se dévoilent, peu à peu : on découvre la géographie de cet univers, ses acteurs, ses peuples, ses intrigues. La politique de ce monde se cristallise autour des ARM et de leur possession, mais surtout de leur utilisation. Armes de dissuasion, si une contrée venait à en posséder plus qu’une autre, elles deviendraient des armes de destruction massive, outils de manipulation et de chantage surpuissants. Tous les personnages du roman en ont conscience, à un degré plus ou moins fort ; même l’élève un peu naïve protège les cartes qu’elle a en main, et ne prend pas de décision hâtive.

Un dernier point qui m’a particulièrement touchée dans ce livre, c’est l’inclusivité tranquille, nonchalante qui s’y trouve. Personnages queers, qu’iels soient gay, lesbiennes, trans ou aromantiques, évoluent dans ce monde sans que cette caractéristique soit la seule qui les définisse, sans qu’il s’agisse là de leur seul intérêt dans l’histoire. Il en va de même avec le personnage handicapé, la directrice de l’université, qui n’est jamais décrite qu’à travers le prisme de son handicap moteur : il n’est qu’un élément de plus à sa description, sans être pour autant ce qui la définit totalement.

L’inclusivité se retrouve également dans l’écriture, avec la présence de notes de bas de page pour expliciter des termes rares (voire même inventés ? à vérifier), qui pourraient faire obstacle à la compréhension ou à la représentation de la scène.

Vous l’aurez compris par cette très longue chronique, j’ai absolument adoré ce roman, et il me tarde de pouvoir lire la suite ! Les personnages, l’univers, l’intrigue sont posés, je n’ai qu’une hâte, c’est de les voir être encore plus développés !

C’est pour moi un sans faute, tant vis-à-vis de la construction du monde dans lequel évoluent les protagonistes, qui laisse entrevoir sa complexité, sa diversité et malgré tout sa cohérence, que de son système de magie tout aussi divers et passionnant, que de l’intrigue qui nous tient en haleine tout en nous disséminant par-ci par-là des indices sur les relations intrapersonnelles, les futurs évènements, etc.

J’avais commencé par la couverture, je vais finir par elle également, parce qu’encore une fois, elle est magnifique. Mais ce n’est pas tout : si vous êtes du genre à lire un bouquin en plusieurs fois, vous vous rendrez bien vite compte que cette couverture est en fait… constituée des éléments les plus importants de l’histoire ! De même, l’intérieur du livre comporte deux visages féminins, qui sont déterminants dans l’histoire bien qu’à priori secondaires ; chaque chapitre, quant à eux, est affublé d’une petite arche avec colonne, délabrée et envahie de végétation, qui participe à l’ambiance à la fois hors du temps et tellement ancrée dans le présent de l’intrigue du roman, tout en nous donnant l’impression d’être dans les jardins interdits, peut-être le lieu dont il est le plus fait mention dans ce premier tome.

Bref, pour reprendre les mots de Nawal : lisez Mystic Flown.

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