Three Dark Crowns, Kendare Blake

Elle rit et penche la tête au-dessus du vide. Pietyr ne peut pas imaginer ce qu’elle ressent en tant que reine. C’est un lieu destiné à son espèce. […] Elle pose sa tête sur sa main et continue à regarder au fond de la fissure. Pietry a raison. Elle ne devrait pas ressentir une telle fascination.

À chaque génération, sur l’île de Fennbirn, des triplées voient le jour : trois reines, toutes héritières légitimes de la couronne et chacune détentrice d’une magie convoitée.

Mirabella est une puissante élémentaire, qui a le don d’allumer des flammes affamées ou de déclencher des tempêtes vicieuses. Katharine est une empoisonneuse, capable d’ingérer les poisons les plus mortels sans en subir les effets. Arsinoé, une naturaliste, a la capacité, dit-on, de couvrir les arbres de fruits et de contrôler les animaux les plus féroces.

Mais pour obtenir le trône, la naissance ne suffit pas : le pouvoir se gagne au prix du sang. La nuit où les trois soeurs atteignent leurs seize ans, les hostilités sont lancées. Elles ont un an pour s’entretuer.

De cet affrontement à mort, une seule sortira vivante et emportera la couronne !


Three Dark Crowns. Le titre est déjà de bon augure et tout de même rudement badass (notez la qualité de cet argument). Il annonce directement la couleur, tout en mettant parfaitement en lumière le paradoxe qui régnera dans le roman : trois reines pour une île, qui n’en veut qu’une seule pour régner depuis sa noire cité.

Comment s’y prend-on pour faire décroître le nombre de reines ? Rien de plus simple, on les pousse à s’entre-tuer, une année durant, en suivant des rituels macabres.

L’univers de cette série de romans est très riche, et l’autrice nous le dévoile petit à petit, à travers une narration plurielle, alternant entre les trois reines. Bien que l’histoire se déroule sur une île, au sein d’une population en quasi-autarcie, elle n’en demeure pas moins vaste, assez pour qu’existent des différences culturelles fortes entre régions. C’est un point que j’ai trouvé très intéressant : c’est un peuple insulaire qui ne faisait autrefois qu’un, mais qui a été inévitablement divisé par des pratiques religieuses qui les ont menés à s’opposer entre eux. Lorsque l’on pénètre dans cet univers, on aperçoit une réelle dichotomie entre d’un côté le sentiment d’appartenance de chacun à l’île et leur conscience de descendre d’une même divinité, et de l’autre, leur ferveur à voir une reine dotée du même don qu’eux monter sur le trône.

Cette dichotomie a son pendant parfait dans la royauté. Les trois reines sont trois triplées en réalité, issues de la même mère, dont les pouvoirs différents découlent pourtant de la même Déesse. L’une est empoisonneuse, l’autre est élémentaire, la troisième naturaliste ; séparées à leurs six ans, elles sont élevées auprès de leurs pairs, qui tentent d’en faire de parfaites assassines, pour qu’elles puissent briguer la couronne et ainsi les favoriser.

Aucune d’elles ne veut mourir ; il semble impensable de se rebeller contre l’ordre établi. Pourtant, la présence de la Déesse est de moins en moins palpable, deux reines semblent même n’avoir aucun don. Les habitants de l’île s’attachent donc désespérément aux rites d’une religion moribonde : le Temple a brisé sa neutralité rituelle et soutient ouvertement l’une des reines, les fidèles se font de plus en plus rares, une reine n’est pas vue autrement que comme du bétail qui va se faire abattre, on veut truquer les rituels pour faire survivre sa protégée.

Tous les puissants spéculent, manigancent, tentent de damer le pion adversaire sur cet échiquier à trois dimensions.

Mais les reines ne veulent pas mourir ; elles aiment, elles ressentent, elles vivent. Avant d’être reines, elles sont humaines.

Et pourtant, deux d’entre elles doivent être tuées et leur temps est compté si elles veulent trouver le moyen de se protéger, de s’attirer les faveurs de potentiels alliés, de tuer, de survivre. Déjà Beltane s’approche, et, avec lui, l’ouverture de l’Année de l’Ascension.

Ce sont ces quelques mois préparatoires, fruits d’années d’entraînement, de machinations, de complots, que l’on suit dans ce premier tome. On y découvre un à un les personnages, leurs forces, leurs faiblesses, leurs joies et leurs peines. La mort rôde autour d’elles et pourtant, elle a une démarche différente pour chacune des reines. La Reine empoisonneuse l’accueille comme une parente, la Reine naturaliste la redoute, la Reine élémentaire veut l’éviter.

Malgré son statut de premier tome, et la nécessaire mise en place de l’univers, du folklore de l’île, de sa relation étrange avec le continent, ces terres dénuées de dons qui envoient des prétendants dont l’un deviendra roi consort, Three Dark Crown maintient un rythme soutenu, si bien qu’il est impossible à lâcher. La narration y est pour beaucoup, grâce à cette oscillation incessante et équitable entre les trois reines. Libre à chacun, chacune de choisir sa préférée ; les triplées sont toutes humaines avant d’être reines, et aucune d’elles n’est diabolisées. Elles sont, avant tout, victimes de leur couronne et de ce qu’elle implique, victimes de traditions auxquelles la plupart ne croit plus, victimes d’une Déesse cruelle, qui les fait naître pour se repaître de leur sang.

A mesure que l’on en apprend sur ce monde, nous pouvons également spéculer : comment ce fait-ce que deux reines ne présentent aucun don ? Pourquoi personne n’a jamais essayé de leur en faire maîtriser d’autres ? Pourquoi ne pas se rebeller ? Vont-elles le faire ? Le peuvent-elles seulement ?

Leur vie tout entière a été dictée, jusqu’à son terme pour deux des reines ; seuls des éléments extérieurs, voire la volonté de la Déesse, pourraient influer sur ces destins tragiques.

Ce tragique est un aspect qui a été très bien travaillé à mon sens : nous connaissons la gagnante désignée, les autres semblent se débattre vainement contre une destinée implacable. Elles luttent pourtant, toutes ignorantes des machinations que les puissants font dans leurs dos ; c’est un point immensément paradoxal, ce qui lui donne par ailleurs toute sa saveur. Les reines le sont, certes, mais elles sont avant tout des enfants : elles n’ont que seize ans.  Comment, dès lors, ne pas les prendre en pitié ?

C’est donc une sorte de roman d’intrigues politiques sur fond de dark fantasy, qui s’évertue cependant à montrer que chaque parti est constitué d’êtres humains ; derrière chaque muraille de force, se cachent la faiblesse des mêmes sentiments qu’éprouvent les lecteurs et lectrices.

Si je reste assez évasive, c’est parce qu’en dire plus gâcherait le plaisir de cette lecture. Sachez cependant que les personnages sont tous hauts en couleurs, et que chacun se démarque à sa manière. Tous ont leur importance, tous ont un rôle à jouer, même si ce n’est pas forcément celui auquel on s’attend.

Tout ça pour dire que Leha Editions avait raison en nous la vendant si bien : cette série est une pépite (mais comment en douter, puisqu’elle a été écrite par l’autrice de Fille des Cauchemars) et elle ne vous décevra pas !

Par le passé, c’est dans ce gouffre qu’on jetait le corps des reines qui n’avait pas survécu à leur année de l’Ascension. Geneviève affirme qu’au fond leurs corps forment des petits tas, brisés. Mais Katharine n’y croit pas. Le domaine Breccia est si vaste et si profond, ces reines ne sont certainement pas brisées au fond. Non, elle doivent encore être en train de tomber.

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