Circé, Madeline Miller

Je dirais que certaines personnes sont comme des constellations qui ne touchent la terre que l’espace d’une saison.

Fruit des amours d’un dieu et d’une mortelle, Circé la nymphe grandit parmi les divinités de l’Olympe. Mais son caractère étonne. Détonne. On la dit sorcière, parce qu’elle aime changer les choses. Plus humaine que céleste, parce qu’elle est sensible. En l’exilant sur une île déserte, comme le fut jadis Prométhée pour avoir trop aimé les hommes, ses pairs ne lui ont-ils pas plutôt rendu service ? Là, l’immortelle peut choisir qui elle est. Demi-déesse, certes, mais femme avant tout. Puissante, libre, amoureuse…


Circé, magicienne, tante de l’effroyable Médée qui s’avère être mon personnage mythique préféré. Quelle joie de découvrir son histoire, non pas à travers les yeux des autres héros, mais des siens. Son histoire si pleine de solitude, de regrets, de remords mais aussi de courage, d’indépendance et d’amour.

Nous suivons en effet la longue vie de Circé, de sa naissance jusqu’à…. spoiler. Cette sorcière mystérieuse, intrigante, voire inquiétante que l’on connaît principalement selon le point de vue d’Ulysse, dévoile ici toute son histoire sans fortiori, sans filtre. Son enfance aux pieds de son père Hélios, rejetée par les autres, sa mère la première, sa jeunesse solitaire et naïve, sa fascination pour les mortels, son exil injuste, sa solitude qui la ronge durant une éternité, ses rencontres, tantôt dangereuses tantôt salvatrices. Tout y est. Et bien sûr, sa magie.

Laissez-moi vous expliquer ce que la sorcellerie n’est pas : ce n’est pas un pouvoir divin, qui vient en un clin d’œil, d’une simple pensée. Elle nécessite d’agir, de manipuler, de planifier, rechercher, fouiller, sécher, couper et moudre, bouillir, parler et chanter. Et même après toutes ces étapes elle peut échouer, ce qui n’arrive pas aux dieux. 

Circé magicienne. Circé sorcière. Merci, Madeline Miller, pour cette ode à la sorcellerie, à la magie des herbes et des sorts qui m’a totalement charmé. J’ai adoré apprendre la science des plantes et des charmes aux côtés de Circé, à la suivre dans ses jardins et forêts à la recherche du bon ingrédient, dans sa cuisine, à la recherche de la bonne méthode. C’était passionnant ! Cela fait partie de mes parties préférées du roman.

À cela s’ajoute également l’entrelacement aux autres mythes : Scylla, Dédale, Pasiphaé sa sœur et son enfant le Minotaure, Thésée et Ariane, et bien sûr Ulysse. Ulysse que l’on découvre sous un nouveau jour, déjà esquissé dans Le Chant d’Achille, plus sombre, plus dangereux que la version embellie qu’il nous présente dans son Odyssée.

Dans une existence solitaire, il existe des moments rares où une autre âme plonge tout près de la vôtre, comme les étoiles qui s’approchent de la terre une fois par an.

Et au centre de tout cela, Circé. On en revient toujours à elle et sa personnalité si unique chez les immortels. Enfin unique… avec Prométhée. Car les deux sont liés par leur amour et leur fascination pour les mortels, qui leur vaudra le mépris des autres et une éternité d’exil. Pourtant, Circé s’empare de cela pour en faire une force, pour s’émanciper et devenir un personnage fascinant, auquel je me suis énormément attachée. Si je l’aimais déjà beaucoup, avec cette histoire, elle vient définitivement se loger dans mon cœur aux côtés de sa nièce. Sa douleur, sa douceur, ses pensées, m’ont envahi tout au long de ma lecture et me hanteront encore après.

Quelqu’un se souviendra de nous, Nadège Da Rocha

« C’est l’avantage d’être au cœur d’un mythe : mon histoire me précède toujours où que j’aille. Qu’ils essayent de nous attaquer s’ils le veulent, nous verrons bien qui seront les perdants. »

Elles ne pardonneront jamais à l’Olympe. Les dieux vont enfin payer !
L’ère des faux-semblants est révolue. Pandore est prête à traverser le monde pour se venger de Zeus et des dieux qui l’ont condamnée à la honte et à la culpabilité. À ses côtés, elles trouvera deux alliés inattendues, piégées comme elle par la malice de l’Olympe : Méduse et Arachné, deux monstres qui veulent prouver qu’elles sont bien plus que cela. Leur épopée vengeresse les mènera jusqu’aux Enfers, où elle comprendront que les dieux disparaissent déjà mystérieusement… Le temps leur est compté !


Le jour même de sa sortie, je terminais ce roman. Ce roman que j’attendais avec énormément d’impatience, moi l’étudiante en Lettres Classiques passionnée par la mythologie et le monde hellénique. J’en attendais donc beaucoup de cette sortie, signé chez ActuSF qui me déçoivent pratiquement jamais. Mais comme toute chose dont on attend beaucoup, il y a parfois des petites déceptions, même si ma lecture fut principalement agréable.

Commençons d’abord par le positif. Parce que malgré tout, cela a été une belle lecture, avec des points forts, et le premier est la diversité. Merci Nadège Da Rocha de rétablir la couleur de peau des dieux et déesses ! Parce que oui, les divinités grecques ne sont pas aussi blanches que le marbre de leurs statues. Ce sont des divinités du monde méditerranéen, peuple qui n’est pas réputé pour leur peau blanche comme neige….

Ils la disaient victime.

Merci également de mettre les femmes à l’honneur, parce que oui, la mythologie grecque ce n’est pas uniquement Zeus, Poséidon, Hercule ou Achille. C’est aussi Pandore, Héra, Artémis, Méduse, Arachnée et bien d’autres femmes qui ont été traitées de manière misogyne pendant des siècles et des siècles, les réduisant au silence et au statut de simple objet, de récompense ou de monstre.

Ils la disaient belle. C’est bien tout ce qu’ils retinrent d’elle.

Et c’est bien là le point fort de ce roman. Quelqu’un se souviendra de nous met à l’honneur les figures féminines qui peuplent cette mythologie en leur rendant leur voix, et en remettant en question le regard masculin posé sur ces femmes réduites à l’état de ressort narratif. On ne connaît que trop bien l’histoire de Méduse, monstre à têtes de serpents que le valeureux Persée décapite. On en connaît que trop bien l’histoire de Pandore, la Porteuse de maux, qui fait s’abattre sur les mortels tous les maux du monde à cause de sa curiosité. Mais connaît-on la Pandore aux Mille Cadeaux ? Que savons-nous de Galatée, hormis le fait que ce ne soit que l’objet de l’amour de Pygmalion ? L’histoire d’Arachnée est-elle connue de tous ? Connaissez-vous Héra autrement que la femme jalouse et revancharde de Zeus ?

Ils la disaient sauvage

Si la réponse est non, l’autrice vous livre ici leur histoire, selon leur point de vue, avec leur voix propre. Elle convoque toutes les divinités et les figures féminines (ou presque, je déplore l’absence de l’incroyable Médée !) dans une épopée révolutionnaire qui va s’abattre sur un patriarcat subi depuis bien trop longtemps.

Ils la disaient folle et menteuse.
Princesse, oracle, destructrice.

Néanmoins, comme dit plus haut, il y a eut quelques petites déceptions.

Le style d’écriture m’a laissé perplexe. Il y a un quelque chose d’ancien, d’antique, mélangé à du moderne, qui, pour moi, ne fait pas bon ménage. Il y aurait un parti à prendre, comme Percy Jackson qui modernise totalement le style et l’univers de la mythologie ou alors, comme Madeline Miller le fait pour Circé et le Chant d’Achille, gardé une poétique antique. Ici, le mélange est assez étrange et déstabilisant, qui ne fonctionne pas pour moi.

Mais ce qui m’a le plus dérangé c’est que l’on retombe dans un schéma assez manichéen. On oppose systématiquement les femmes aux hommes. Alors oui, il y a quelques exceptions, mais qui font office de figurants et c’est bien dommage. Une écriture plus nuancée, plus approfondie aurait été bienvenue dans ce beau projet féministe. Car, pour moi, le féminisme n’est pas la revanche des femmes sur les hommes mais l’égalité entre les deux, l’union sincère et équitable et ce n’est pas vraiment ce que j’ai retrouvé dans ce roman.

L’intrigue m’a également souvent laissé perplexe, la trouvant tantôt simpliste, tantôt brouillée, notamment sur la fin où l’enchainement des événements s’est accélérée, ce qui a compliqué ma compréhension, de même que certains mots de vocabulaire qui aurait été pertinent, je pense, de mettre en note ou de faire un glossaire à la fin. Baignant dans le latin et le grec depuis cinq ans maintenant, cela n’a pas trop dérangé ma compréhension, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Ils la disaient épouse. Ils la disaient jalouse.

Néanmoins, malgré ces quelques déceptions, cela reste un beau roman avec une belle volonté de redonner voix au chapitre à des femmes qui ont autant de belles histoires à raconter qu’Achille et Ulysse.