Rencontre avec Karine Kennberg

À l’occasion du SLPJ de Montreuil, j’ai eu la chance de pouvoir faire dédicacer mon exemplaire de Meute par Karine Kennberg. Après avoir échangé avec elle sur son roman, elle a accepté de répondre à certaines de mes questions. Merci à elle pour le temps qu’elle m’a accordé !

Concernant ton univers…

Qu’est-ce qui a inspiré l’histoire de Meute ?

À vrai dire, je ne sais jamais comment répondre à cette question. Rien de précis, ou plutôt l’ensemble des choses que j’ai pu lire jusque-là, le tout mélangé jusqu’à ce que mon inconscient décide de sortir une idée. Mon amour des loups, des traumas, des combats clandestins qui peuvent exister dans les profondeurs du dark web, un mélange de tout ça et plein d’autres choses.

Qu’est-ce qui a inspiré le personnage de Calame et sa vision du monde ?

Un peu pareil qu’à la question précédente. Il a poppé dans ma tête tout seul comme un grand, avec sa narration au « tu » et ses triades de couleurs. Là encore, c’est purement de la création « instinctive / inconsciente », plus que réfléchie / conscientisée.
Sa vision colorée du monde vient sans doute de ma fascination pour la synesthésie (un phénomène neurologique qui associe deux ou plusieurs sens, par exemple voir des couleurs quand on entend des notes de musique). J’ai beaucoup de personnages qui ont des formes un peu étranges de synesthésie, liées à la perception des émotions, à l’aura dégagée par les gens, ce genre de chose. (Et non, moi, je ne suis pas synesthète.)

Le roman est un parfait mélange entre douceur et violence. À quel moment du processus d’écriture cela t’est-il venu ?

Assez tôt ; dès que j’ai laissé Nath s’exprimer et me raconter sa vie, en fait.
En tant qu’autrice, j’aime la violence et le côté cathartique qu’elle procure… mais il est à peu près évident que ça ne permet pas vraiment de se lier à un gamin traumatisé, et encore moins de le remettre sur pied (physiquement et mentalement).
Mais heureusement, Nath est humain, et en tant que tel, il a plusieurs facettes. La violence et l’agressivité en sont une, l’attention et le sens du devoir en sont une autre (on dit merci Val).
Du coup, tout le roman est construit autour de cette dualité-là : la douceur au sein du groupe, et la violence envers le reste du monde si celui-ci s’avère hostile (et l’indifférence dans le reste des cas).

Quel a été le personnage le plus difficile à écrire ?

Les trois ont assez bien coulé à l’écriture, à vrai dire, je n’ai pas à me plaindre. Mais entre les trois, Nath est sans doute le moins simple. Ce crétin n’a définitivement pas assez de neurones, il fonce sans réfléchir, il réagit à chaud (et souvent par la violence), ce n’est pas vraiment un type de fonctionnement qui me correspond, et il est du coup un peu plus difficile à envisager pour moi.

Val est muet. Pourquoi ce handicap particulier ?

Parce qu’il a décidé et que je n’ai pas eu mon mot à dire ? Comme pour Calame, il a poppé dans ma tête déjà prêt à l’emploi, avec sa froideur efficace, sa multitude de tresses, et cette blessure qui l’a rendu muet.
Mais bon, du coup, ça m’a obligé à faire pas mal de recherches sur les lésions à la gorge, et les séquelles à court et long terme (que ce soit en termes de respiration, de déglutition, tout un tas de trucs – les voies respiratoires supérieures, c’est vite le bordel), ça m’a aussi forcé à réfléchir à comment j’intégrais une langue des signes dans le roman, à la façon dont son handicap et les difficultés à se faire comprendre colorait ses relations avec les autres, à tout un tas d’autres sujets « annexes » qui n’étaient pas vraiment prévus dans mon plan de départ.

Quelle est la chose que tu préfères dans ton univers (objet, invention, système…)

J’aime beaucoup les associations de termes / concepts que Calame associe aux couleurs (elles-mêmes associées aux émotions primaires) : ambre éternité, or étoile des solstices, bleu ciel d’été, blanc oubli… Je me suis beaucoup amusée à les trouver, classer, rayer, reprendre, oublier, retrouver… (pas de mentions inutiles).
Et j’aurais bien aimé avoir en vrai les sculptures que réalise Nath, aussi !

Dans quel personnage te retrouves-tu le plus ?

Un peu des trois et aucun des trois à la fois. J’ai le côté analytique et peu empathique de Val ; mais je n’ai clairement pas sa confiance en lui (si seulement…). J’ai le côté paumé face aux responsabilités impliquant autrui de Nath. Et j’ai l’amour de la brioche et du chocolat de Calame.
(Mais honnêtement, vu leurs doses de trauma ou de problèmes, je suis bien contente de ne pas leur ressembler plus que cela !)

Penses-tu revenir un jour dans cet univers ?

Ce n’est pas prévu pour le moment, non.

De manière plus générale…

As-tu des rituels ?

Non, ce n’est pas quelque chose qui marche sur moi. Mais j’écris mieux la nuit, et j’aime avoir des trucs sucrés à grignoter.

Quels/quelles auteurs/ autrices ou livres t’inspirent le plus ?

Il y a plusieurs auteurices (OK, beaucoup d’auteurs) dans ceux qui ont formé la lectrice et autrice que je suis : Tolkien (pour son worldbuilding, les questions du pouvoir, du bien et du mal plus complexes qu’il n’y paraît, pour la dose massive de trauma de perso qu’est le Silmarillion), Pullman (pour sa relation au religieux, à l’amour et le fait qu’un livre peut finir mal), Scott Lynch (pour les claques de worldbuilding), Terry Pratchett (pour son analyse sociale), Ellen Kushner (pour montrer qu’on peut avoir un perso gay dans un roman et que c’est OK), Glenn Cook (pour ses personnages de connard), sans doute d’autre encore.

Mais de manière plus intéressante (et surtout plus actuelle), il y a actuellement une montée en puissance des auteurices dont la production laisse plus de place aux questions de genre, de handicap, de neurodivergence, de racisme… En vrac et en français dans le texte, Estelle Faye, David Bry, Jolan Bertrand, Luce Basseterre, Hermine Lefebvre, Michael Roch, Maelle Desard, bien d’autres encore, et c’est tout de même très chouette. (Et il y en a encore plus en anglais, parce que la France est quand même en retard sur toutes ces questions.)

Quel livre aurais-tu voulu avoir écrit ?

Harry Potter, pour être millionnaire ?
Plus sérieusement : aucun, car peu importe celui que je choisirais, ce ne serait alors plus le même livre, et je n’aurais pas eu plaisir à le découvrir en tant que lectrice.
Et puis, j’ai déjà assez de travail avec mes propres idées et mes propres romans. (Et tant pis si je ne finis pas millionnaire (même si j’aimerais bien (je jure de ne pas virer terf (promis promis))))

Ranges-tu ta bibliothèque d’une manière particulière ?

En théorie ? Par maison d’édition.
En pratique ? Un mélange de « Oh tiens, là un trou » et « j’ai la flemme de ranger alors je vais poser la pile par terre en attendant un éclair de motivation ». Et de temps en temps, j’ai une poussée de procrastination, je fous tout par terre et je retrie. Puis bis repetita.

Un petit mot pour la fin ?

Il fait froid, couvrez-vous bien et faites-vous un chocolat !

Rencontre avec Morgan Of Glencoe

À l’occasion du SLPJ de Montreuil, j’ai pu revoir l’autrice de la série La Dernière Geste, Morgan Of Glencoe (mon avis ICI) . Nous avons pu échanger un moment sur le troisième tome que j’ai dévoré cet automne et sur le Temps du Teuz que je venais de finir quelques semaines auparavant. Suite à cela, elle a accepté de répondre à quelques unes de mes questions, que je vous partage ici ! (Petite surprise en fin d’article 😉 )

Concernant ton univers…

  • Pourquoi avoir centré l’histoire sur la France, le Japon, l’Empire Ottoman et la Grande Bretagne ?

Alors, techniquement, l’intrigue est principalement centrée sur la France et Keltia, qui n’est pas du tout la Grande Bretagne par contre. (ne dites jamais ça à un Irlandais ou à un Breton vous allez les vexer, hahaha !) la Celtie, dans notre monde à nous, qui se dit donc « Keltia » dans le monde de La Dernière Geste (et un peu dans le nôtre, selon les langues) est l’ensemble des pays considérés aujourd’hui comme celtes ou de survivance celtique, à savoir : l’Irlande, la Bretagne, l’Ecosse, le Pays de Galles, l’île de Man, la Cornouailles… et il y a un petit switch géographique pour une question de cohérence, l’Angleterre n’existe pas, et est remplacée par Logres, c’est-à-dire le royaume du Roi Arthur (bon, qui a existé et est décédé depuis un bail par contre) et la Galice, qui dans notre monde fait partie des pays celtes, ne l’est pas ici parce qu’elle est trop éloignée des autres et dans le contexte que j’ai placé, ça n’aurait pas fonctionné. Donc la Grande Bretagne, dans mon univers… n’existe tout simplement pas. Cette longue introduction est nécessaire, parce que ce qui est en jeu dans La Dernière Geste est précisément un choc civilisationnel, entre un pays qui est une spéculation (optimiste, disons-le) sur ce que certains peuples Celtes auraient pu devenir s’ils ne s’étaient pas fait dézinguer par les Romains, (oui, donc, Keltia, quoi) et en face un pays plus proche de notre civilisation occidentale actuelle. Le Japon et le Sultanat Ottoman, bien que représentés par un nombre assez important de personnages, ne sont pas des lieux de l’action. Ils sont, en revanche, des acteurs politiques d’importance avec lesquels les autres doivent constamment compter, des civilisations à part entière qui imposent elles aussi leurs conditions, traditions et enjeux au cours de l’intrigue.

  • Pourquoi cette époque ?

La Dernière Geste se passe dans l’équivalent très approximatif de nos années 90… sauf qu’elles n’ont rien à voir avec nos années 90. L’écart technologique entre les classes sociales y est très marqué, et dans une même ville, le noble local peut avoir accès à de la VR quand la cousette rêvera d’avoir l’eau courante. Quant à pourquoi… heu. Parce que c’est fun, et que c’était une époque pas/peu explorée au moment où j’ai commencé l’écriture du tome 1, et que donc ça me faisait marrer d’essayer. J’étais pas lae seule, apparemment, puisque depuis c’est devenu un peu plus courant de sortir la Fantasy de l’époque médiévale.

  • De quelle nationalité de l’univers es-tu et pourquoi ?

Bah, mon prénom c’est Morgan, donc le prénom le plus universellement celte avec, genre, Ana, et mon pseudo c’est of Glencoe, donc du nom d’une montagne écossaise, je joue de la harpe celtique, je chante en Breton et j’aime beaucoup trop la littérature galloise… j’ai vraiment besoin de dire ? XD Plus sérieusement, c’est ma culture, et en dépit des apparences elle est sous-représentée, et souvent mal représentée, en SFFF. La plupart du temps les gens confondent culture celte et culture scandinave, ce qui n’a rien à voir, et en général les gens se contentent de vagues références pas toujours cohérentes ou très très déformées… Donc, bon. Si je ne joue pas mes cartes pour défendre ma culture, c’est pas les autres qui vont le faire pour moi ! 

  • Quel a été le personnage qui t’a donné le plus de fil à retordre ?

Oh, ils font tous n’importe quoi, y’a pas moyen. J’veux dire, même le physicien en fauteuil roulant est incontrôlable, alors ! Mais Aliénor est la plus difficile, parce qu’elle calcule absolument tout. Aliénor, c’est le personnage le plus redoutable de LDG, elle est même redoutable pour moi. C’est le perso dont chaque mot est pensé, pesé, et si elle se lâche c’est toujours en solo dans son coin… 

  • Quel est le personnage dans lequel tu te retrouves le plus ?

Bran.

  • Que peux-tu nous promettre pour la suite ?

Le 4ème chant s’appelle Lys de Guerre donc, heu. Ma réputation va pas aller s’arrangeant ? Mais au moins la fin sera jouissive. C’est promis.

  • Quelle est la chose que tu préfères dans ton univers (objet, invention, système…)

Les harpes en glace. Sérieux, ce serait tellement pratiiiiique ! Bon, mais d’accord, si je pouvais me téléporter en chantant, je dirais pas non. Et en vrai le truc dont je suis vraiment fièr c’est le système social keltien. Mais c’est trop long à expliquer en une interview. Sauf si vous avez 3 mois et beaucoup de neurones à y consacrer XD

  • Quel est le tome qui a été le plus facile à écrire/ construire ? Le plus difficile ?

Le plus facile, c’était l’Héritage du Rail. Il a beaucoup stagné pendant un temps mais c’est uniquement parce que je ne pouvais pas lui donner l’attention qu’il méritait : au moment où je la lui ai donnée, il s’est déroulé tout seul comme un grand, tout s’agençait exactement comme il fallait, les personnages étaient à fond, bref, un plaisir. Et le plus difficile… Je suis dedans. Lys de Guerre est franchement un énorme pavé, hyper complexe, qui alterne entre guerre, espionnage, tragédies, révoltes, destins brisés et coups du sort, et je ne veux laisser aucun personnage point de vue de côté dans ce vaste marasme. Du coup, oui : je galère. Mais genre en bien. Je peux le faire, hein, mais je galère.

De manière plus générale…

  • Ranges-tu ta bibliothèque d’une manière particulière ?

Alors, oui et non. Déjà, ce n’est pas ma mais notre, puisque mon mari est aussi grand lecteur que moi, donc ça n’arrange vraaaaiment pas le problème, et ensuite on vient de déménager et ce déménagement était à 80% constitué de livres et d’instruments de musique. La large majorité des bouquins est actuellement dans des bibliothèques sans ordre précis, à quelques exceptions près : les livres de cuisine de mon mari sont tous au même endroit, ainsi que mon « étagère chouchou » où sont rangés mes Elfquest, mes (nombreuses) éditions du Seigneur des Anneaux et quelques autres titres (dont Un éclat de Givre et Un reflet de Lune d’Estelle Faye). Sinon, il y a aussi une bibliothèque (le meuble, question taille imaginez la Billy Ikea à peu près) qui est en fait la PAL de mon mari. Si je prends un livre dedans, je le remets au même endroit du coup, pour pas qu’il soit perdu dans sa PAL. 

  • As-tu des rituels ?

Oui, et il y en a au moins un ici que je peux dévoiler même s’il n’est pas trop en rapport avec la littérature… tous les matins, de 9h à 10h30, je joue de la harpe. Je m’échauffe, ensuite je travaille les morceaux en cours et ensuite je fais de l’entretien de répertoire, en buvant du thé. Bon ça c’est très normal pour une musicienne pro. Par contre, je le fais sur Twitch, et ça c’est moins normal. Si vous voulez venir partager mon rituel matinal, c’est du lundi au vendredi, et c’est là : https://www.twitch.tv/morgan_ofglencoe

  • Quels/quelles auteurs/ autrices ou livres t’inspirent le plus ?

Dans les lointains, Wendy et Richard Pini, Taliesìn et Laini Taylor.Dans les proches, mes amies Estelle Faye, Lionel Davoust, Xavier Dollo et Floriane Soulas. (et autant par leur amitié que par leur rapport à la création que par leurs oeuvres. Je vous kiffe, les copaines.)

  • Quel livre aurais-tu voulu avoir écrit ?

Aucun. Si c’est une autre personne qui l’a écrit, c’est pas moi, donc c’était pas à moi de raconter cette histoire-là. Moi, j’écris les livres qui me manquent, pas ceux que j’ai déjà sous la main ! 

Un petit mot pour la fin ?

Voui ! Je voudrais dire ceci à toutes les apprenties-plumes : tout texte est une victoire. Même s’il est mal écrit, bancal, pas fini, avec des fautes d’orthographe et de grammaire partout, on s’en fiche. L’acte d’écrire est votre première victoire. Ce n’est pas la dernière, ce n’est pas celle qui vous consacrera aux yeux du monde, ce n’est pas celle qui vous ouvrira les portes d’un éditeur, peut-être, c’est vrai. Mais sans elle, sans cette première victoire qui s’appelle « écrire », aucune des autres ne viendra jamais.

À l’occasion de cette rencontre, les éditions ActuSF ont très gentiment accepté de nous gâter et de vous offrir la possibilité de gagner un exemplaire du premier tome (ou de la suite si vous l’avez déjà) ! Rendez-vous sur mon compte Instagram pour participer !