Passing Strange, Ellen Klages

« – Les risques du métier de professeur.
– J’aimerais bien. Je ne suis que maître de conférences. Il semblerait que mon doctorat en mathématiques compte moins que mes ovaires. »

San Francisco, 1940. Six femmes, avocate, artiste ou scientifique, choisissent d’assumer librement leurs vies et leur homosexualité dans une société dominée par les hommes. Elles essayent de faire plier la ville des brumes par la force de leurs désirs… ou par celle de l’ori-kami. Mais en science comme en magie, il y a toujours un prix à payer quand la réalité reprend ses droits.

Roman sociétal autant que fantastique, Passing Strange est complété par la nouvelle Caligo Lane qui nous dévoile un peu plus les mystères de l’ori-kami.

C’est le speech de ce roman qui a tout de suite attiré mon attention. Une histoire de femmes dans un San Francisco des années 40, cela m’a beaucoup intrigué. Il y a quelques jours, bloquée dans le deuxième tome du Seigneur des Anneaux, j’avais besoin d’une petite lecture qui sorte du genre et c’est sur ce roman que mon attention s’est portée. Je l’ai donc sorti de ma bibliothèque et j’ai passé l’après-midi entière à le lire.

J’ai tout d’abord été surprise par la structure du roman. Il est séparé en ce que j’appellerais des nouvelles plutôt que des parties qui forment tout même une cohérence dans la narration, qui ne sont pas détachées les unes des autres.

On commence par le point de vue d’Helen Young, sur la fin de sa vie. Tout est un peu flou, on a du mal à comprendre la signification de ces actes et cela nous pousse à continuer la lecture. Puis débute réellement l’histoire en 1940 où l’on rencontre les personnages principaux, pour ensuite revenir sur le « présent ». Si au début, c’était surprenant, on finit par comprendre le choix de l’autrice qui s’avère très astucieux et que j’ai personnellement beaucoup aimé.

Durant cette fameuse histoire principale, on rencontre Haskel et Émilie qui tombent chacune sous le charme de l’autre. J’ai beaucoup aimé ces deux personnages, notamment Haskel. Ce sont des femmes qui n’entrent pas dans les clichés de lesbiennes qu’on a l’habitude de voir dans la littérature ou au cinéma et cela fait plaisir. Leur histoire est peut-être un peu rapide pour moi mais elle se fait de manière tellement naturelle, tellement évidente que je n’ai pas été plus dérangée que cela par ce défaut, hormis sur la fin. C’est donc un beau mélange de naturel et d’extraordinaire, de marginal que l’autrice a réussi à créer. J’ai également apprécié les autres personnages, que je trouve très bien travaillé. Elles n’ont rien de véritablement spéciales, ce sont des femmes ordinaires, certaines scientifiques, d’autres artistes. Mais elles ont la particularité d’être douées dans leur domaine. Elles sont intelligentes, passionnées, indépendantes, dans une époque où le rôle d’une femme se cantonne à celui d’épouse et de mère. À cela s’ajoute leur orientation sexuelle qui les pousse à devoir se cacher. L’oppression, le jugement qu’elles subissent est affligeant et fait malheureusement écho à notre société actuelle par certains aspects.

L’ambiance, l’atmosphère que dégage cette histoire m’a beaucoup plu. C’est un mélange d’ordinaire et de mystique, dans une ville connue pour son côté magique. Ce fut un beau voyage qui me rappela beaucoup la série Charmed dans une certaine mesure.

Ce fut donc une très belle et intéressante lecture qui présente des personnages féminins évoluant dans une société où elles ne sont pas les bienvenues. Cette lecture pousse à la réflexion de l’image et la place d’une femme dans la société, à la différence entre ce qu’elle veut être et ce qu’elle doit être. C’est donc une lecture captivante que je recommande, autant aux femmes qu’aux hommes.

#ActuSF #diversité #harcèlement #résistance #amour #magie

PS. : Je ne t’ai jamais dit, Brigid Kemmerer

« – Merci.

– De quoi ?

– De m’avoir vu. »

Ils cherchaient des réponses. Ils se sont trouvés.

Emma a créé un jeu vidéo. C’est un oasis où elle se réfugie chaque jour. Même si un joueur la harcèle en ligne.

Rev pensait avoir réussi à fuir son passé. Pourtant une lettre de son père ravive ses souvenirs et réveille ses vieux démons.

Ces deux lycéens, que tout oppose, se rencontrent au détour d’un chemin. Commence alors une relation inattendue.

Mais les secrets ont un prix. Et ceux de Emma et Rev pourraient bien tout gâcher …

J’ai eu la chance de découvrir le premier tome, PS : Tu me manques et d’en faire la chronique pour le magazine Bloggers’. Ce premier livre m’avait bouleversé, j’avais été touchée par les personnages mais surtout par les sujets abordés et les émotions qui se dégageait de la plume de l’autrice. Puis, quand j’ai vu qu’un second tome sortait, j’ai eu un peu peur. Qu’avait-il a ajouté à cette belle histoire ? J’avais été un peu déçue par le second tome de Paradise de Simone Elkeles qui se trouve dans le même genre et j’avais peur de reproduire la chose avec ce livre-ci. Mais, quand je suis tombée dessus il y a quelques jours sur NetGalley, je me suis dis pourquoi pas. Les éditions Hachette ont eu la générosité de me l’envoyer en SP et je l’ai débuté sur le champ. Je ne l’ai pas lâché de toute la journée et l’ai terminé dans la soirée, totalement subjuguée.

Rev, un personnage terriblement attachant

Ce fut un gros coup de foudre pour le personnage de Rev. Je l’avais déjà bien apprécié dans le premier tome à travers le point de vue de Declan et avoir sa propre perspective n’a fait qu’augmenter mon amour pour ce personnage. Ce que j’ai le plus apprécié chez lui c’est qu’il n’a rien d’un cliché. C’est un ado un peu bizarre mais qui ne s’attire pas d’ennui, qui est bon élève… Il n’y a rien à lui reprocher, contrairement à Declan qui a une sacrée tendance à attirer les problèmes. C’est un bon fils envers ses parents adoptifs. Il est gentil et attentionné envers les gens qui l’entourent. C’est un personnage qui a vécu une enfance terrible. J’ai été profondément bouleversée par son passé et par les séquelles qu’il en garde. On sent tout au long de l’histoire sa détresse et son mal-être qui vous brise le cœur. Et ce mal-être n’est apaisé que par la présence d’Emma.

Emma, une adolescente qui ne se laisse pas abattre

Ça n’a certes pas été le coup de foudre immédiat comme avec Rev, mais le personnage d’Emma m’a énormément touchée. Je me suis beaucoup retrouvée en elle et j’ai éprouvé beaucoup de compassion pour elle. Passionnée par les jeux vidéo, c’est une jeune fille qui croit en ses rêves et qui refuse de les abandonner sous prétexte que c’est dur ou que c’est un univers d’homme. Elle est douée dans son domaine et elle le sait, même s’il lui arrive d’en douter parfois. J’ai admiré sa force d’esprit et sa volonté sans relâche. Elle est la moins vulnérable des deux personnages même si ces problèmes sont sérieux voire dangereux. Elle fait face à du harcèlement violent mais ne se laisse pas abattre. Son refus de dépendre de quelqu’un, de laisser les autres régler ses problèmes est noble même si cela lui apporte des problèmes par la suite. C’est quelqu’un qui souffre beaucoup sans pouvoir trouver comment l’exprimer et, de par la plume de l’autrice, on ressent cet étouffement, tout comme celui de Rev. C’est vraiment un très beau personnage plein de courage.

Des personnages que l’on retrouve

C’est avec beaucoup de joie que j’ai pu retrouver Juliet mais surtout Declan qui est autant un ami formidable que Rev que ce dernier a été pour lui dans le premier tome. Leur amitié est vraiment magnifique. Il n’y a pas un moment où l’un va juger l’autre, ou l’un va douter de l’autre. C’est une relation solide sur laquelle les deux peuvent se reposer quand ils ont l’impression d’être seuls au monde. Il faut l’avouer, je l’ai même préférée à celle entre Rev et Emma qui pourtant m’a beaucoup touchée. Mais cette loyauté sans failles, cette confiance et cet amour entre eux est tout ce qu’une personne peut rêver chez un ami.

Des thématiques difficiles

Dans ce second tome, Brigid Kemmerer s’attaque à des thématiques passionnantes mais difficiles à aborder.

La maltraitance infantile

Le passé de Rev m’a empli d’horreur. J’ai vraiment été touchée par ce qu’il a vécu. Ses cicatrices ont été dures à lire et j’ai ressenti sa détresse comme si c’était la mienne. Ce qui m’a le plus impressionné dans sa façon d’aborder cette thématique, c’est le traitement psychologique de Rev. En effet, on sent que l’autrice a fait des recherches approfondies sur ce sujet et qu’elle le maîtrise. Elle ne tombe pas dans le cliché, elle a réussi à saisir parfaitement l’état psychologique d’un enfant ayant subi des services durant l’enfance, son attachement malgré lui envers son père, cette aversion de tout ce qui le lie à lui, sa peur de devenir comme lui… Rev n’arrive pas à éprouver de la haine envers son père, il n’arrive pas à totalement s’émanciper de cette emprise qu’il a eue sur lui durant toute son enfance. L’autrice condamne donc la maltraitance infantile non en montrant les sévices mais en montrant les conséquences qu’elle peut avoir sur un enfant. Et surtout, elle montre que l’on peut briser le cercle de la violence, que l’on ne peut certes pas effacer ce qui s’est passé, mais que l’on peut avancer, que l’on peut ressentir autre chose que de la haine et de la colère quand on est victime de cette horreur. Rev est un symbole d’espoir pour les personnes victimes de maltraitance et un modèle à suivre.

Le harcèlement

Cette thématique est abordé non pas dans le passé mais dans le présent, notamment avec Emma mais également un peu avec Rev qui se voit harceler par son père. Au moyen des personnages, on voit deux formes de harcèlement, l’insidieux et le violent. Rev ne reçoit que des mails de son père qui exige une réponse de sa part, ce qui suffit à faire resurgir les mauvais souvenirs et à le mettre dans un état de détresse absolue. Quant à Emma, c’est un pauvre type qui estime qu’une fille n’a pas sa place dans le monde des jeux-vidéos, un inconnu aux propos violents et vulgaires. C’est à chaque fois un coup de poing dans le ventre que reçoit Emma à l’ouverture des mails. On ressent sa colère, son malaise et sa solitude face à cette situation. Ce sont deux manières d’aborder un sujet malheureusement trop actuel et fréquent dans notre société, qui nous pousse à remettre en question notre attitude face aux messages que l’on envoie à travers un écran. Car oui, derrière l’écran se trouve une personne capable de ressentir des émotions, une personne qui mérite autant de respect que nous-même.

« Les femmes reçoivent sans arrêt des messages de ce genre. Ce n’est pas bien. C’est même inacceptable, mais je n’y peux rien. »

En conclusion, Brigid Kemmerer nous offre un roman poignant et émotionnellement puissant, abordant des thématiques difficiles avec brio, le tout dans une plume douce et pleine d’espoir. Toutes mes appréhensions quant à ce second tome se sont évanouie et je surveillerais les prochaines parutions de cette autrice en tout point prometteuse.

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