Qui ment ? – Karen M. McManus

Résumé éditeur :

Une intello, un sportif, un délinquant, une reine de beauté… un meurtrier.
Qui allez-vous croire ?
Dans un lycée américain, cinq adolescents sont collés : Bronwyn (l’élève parfaite), Addy (la fille populaire), Nate (le délinquant), Cooper (la star du baseball) et Simon (le gossip boy du lycée).
Mais Simon ne ressortira jamais vivant de cette heure de colle…
Et les enquêteurs en sont vite sûrs, sa mort n’est pas accidentelle.
Dès lors qu’un article écrit par Simon contenant des révélations sur chacun d’eux est découvert,
Bronwyn, Addy, Nate et Cooper deviennent les principaux suspects du meurtre.
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont tous quelque chose à cacher…

A l’occasion de la sortie du troisième et dernier tome de la série écrite par Karen M. McManus, je me suis lancée dans la lecture du premier opus, Qui ment ?.

J’ai été conquise par la traduction du titre. S’il est vrai qu’elle s’éloigne de la version anglaise (One of us is lying ? littéralement “l’un de nous ment”), elle est cependant très accrocheuse et fonctionne extrêmement bien. En effet, les titres des second et troisième volets auraient été, à mon sens, trop lourds si traduits littéralement (One of us is Next, littéralement “l’un de nous est le prochain” et One of us is Back, littéralement “l’un de nous est de retour”). La narration chorale, de son côté, m’a plus qu’enchantée. Elle se marie à merveille avec cette intrigue à multiples suspects et elle était très bien travaillée, de sorte qu’on ne poussait pas un soupir à fendre l’âme dès qu’on quittait le point de vue de notre personnage préféré… et ça fait plaisir.

Nous suivons donc Bronwyn, Nate, Cooper et Addy, toutes et tous suspects dans l’affaire Simon. La police est persuadée que l’un d’eux a tué l’élève qui chapeautait Askip, l’appli de racontars – toujours vrais – et de potins – toujours juteux – du lycée de Bayview. Simon était une sorte de gossip girl version Gen Z : il étalait sur les réseaux la vie privée de tous, sans aucun scrupule. Et alors petite parenthèse de nerd de la traduction : j’adore comment a été adapté le nom de l’appli. En anglais, elle s’appelle Simon says, littéralement “Simon dit”… ce qui est notre équivalent du “Jacques a dit”. Mais bon, si changer les prénoms des personnages, c’était sympa dans les années 80, maintenant ça ne se fait plus trop : il faut donc ruser. Et “Askip”, mais vraiment, c’est un coup de génie. Une parfaite adaptation à la culture française, tout en n’étant pas une tentative ultra bizarre d’avoir un effet “djeuns”. Et juste merci quoi.

Ce Simon, donc, se fait assassiner pendant une heure de colle, et chaque personne semble avoir un secret qu’elle souhaitait garder… secret. Mais qui le voulait assez pour tuer un de leurs pairs ? Entrent donc en scène, les uns après les autres, nos principaux suspects. Et alors comment vous dire que j’ai été bluffée par le traitement des personnages. Karen M. McManus, en plus de créer des intrigues complètement dingues, écrit des adolescents, des vrais, tout en jouant sur tous les stéréotypes apportés par la culture américaine sur les nerds, les bad boys/girls, les sportifs & sportives et les populaires. Durant les premiers chapitres, Bronwyn, Nate, Addy et Cooper sont vraiment les parfaits clichés de ceux qu’ils sont sensés représenter. Bronwyn est une angoissée totale, qui veut entrer dans une bonne fac, une miss je sais tout insupportable, Addy une pimbêche sans cervelle qui suit aveuglément tout ce que lui dicte son copain parfait, etc. Sauf qu’en fait, non. L’étiquette qu’on leur colle au lycée ne les définit pas totalement, pas correctement, ni même entièrement. Dès le début, on se rend compte que Nate, le dealer qui se fiche de tout, n’est pas si je-m’en-foutiste qu’il veut bien le faire croire. Petit à petit, au fil des pages, chaque personnage se dévoile à nous, dans toutes leurs nuances et leurs complexités jusqu’à ce que l’on comprenne leurs motivations et leurs secrets. Rien n’est ni tout blanc, ni tout noir et beaucoup de thématiques très intéressantes sont abordées avec brio. Pression sociale, parentale, ou auto infligée, mais également discriminations raciales, d’orientation amoureuse et sexuelle, ou de classe, tout y passe.

J’ai beaucoup aimé comment les personnages se sont rapprochés, non seulement par affinités et par passifs en commun, mais également en fonction du type de pression qu’ils subissaient. Tout au long de l’enquête, les relations entre Bronwyn, Nate, Addy et Cooper se nouent, s’étoffent, se solidifient. D’autres entrent alors en jeu, et participent à l’évolution de la vision que l’on avait des quatre suspects.

Si les personnages sont un bijou d’écriture, l’intrigue n’est pas non plus en reste. Que l’on se laisse porter par les retournements ou que l’on tente de trouver le fin mot de l’histoire, chacun y trouve son compte. La complexité de l’affaire est assez présente et pour que l’on ne devine pas de suite l’explication finale et pour nous tenir en éveil tout au long des chapitres. On veut connaître le dénouement, on veut savoir qui a tué Simon, et on dévore donc en conséquence le roman !

Bref, j’ai vraiment adoré ce premier tome et je me suis attachée aux personnages que j’ai trouvé très bien construits. L’intrigue m’a franchement renversé le cerveau, et je n’ai eu qu’une hâte : lire le second.

La Neuvième Maison, Alex Stern 1 – Leigh Bardugo

Résumé éditeur :

Alors qu’elle se remet de ses blessures à la suite d’un massacre inexpliqué, Alex Stern se voit proposer d’intégrer l’université Yale au sein de la Maison Léthé.
Cette société secrète a pour mission de contrôler l’usage de la magie au sein des huit autres maisons que compte la prestigieuse institution. La jeune femme doit cette position enviable quoique dangereuse à un talent très particulier : elle est capable de voir les fantômes.
Mais un soir, elle est témoin d’un meurtre d’une violence rare. Son enquête la confrontera à des forces qui défient l’imagination…

Du Leigh Bardugo en mode dark academia ? Yeeeessss please. Et en plus c’est de l’urban fantasy adulte ? Yeeeeeep yep yep yep. Je partais donc convaincue d’avance ! En route pour découvrir les mésaventures d’Alex Stern, fille paumée, pauvre (doux euphémisme), en galère (understatement of the century) qui se retrouve projettée à Yale pour être membre d’une société secrète magique sensée être la police des autres sociétés secrètes magiques. (Beaucoup de sociétés secrètes magiques). Tout en, évidemment, validant son année. Elle qui n’a même pas fini le lycée. Et qui n’est pas magicienne, seulement traumatisée par les fantômes qu’elle voit. On commence fort.

Et alors, malgré mon enthousiasme, le début a été un peu rude. Le roman en vaut vraiment le coup, je vous le promets ! Mais pendant les premiers chapitres, on est complètement paumés. On découvre l’univers, on essaie de comprendre l’intrigue (enfin les intrigues) et Leigh n’aide archi pas avec sa narration ultra originale.

MAIS. Mais !! C’est juste du génie. Une narration comme on en a rarement vu. Si vous avez aimé l’originalité de la technique narrative dans A vivre avec d’Alice Posière ou dans le premier épisode de la série The Witcher, sachez que la Neuvième Maison se place dans la même veine ! Cela donne un dynamisme certain à l’intrigue et aux personnages, qui se dévoilent au compte goutte. Finalement, pourquoi raconter une histoire de manière linéaire quand on peut jouer avec son lectorat et lui retourner l’esprit ?
Si le meurtre d’une étudiante semble être l’intrigue principale, Alex se trouve vite empêtrée dans de multiples histoires, qui tissent ensembles un fil rouge dense et délicat, finement ouvragé.

Le roman est porté par des personnages extrêmement riches, quoique fortement émotionnellement et/ou socialement constipés. C’est absolument excellent de voir des alliances et des amitiés se former là où on les attendait le moins, mais aussi de pouvoir observer ces dynamiques relationnelles à l’œuvre.
Alex et Darlington, qui sont les personnages les plus développés dans ce premier tome, sont très bien travaillés. Ils ne sont pas uniquement définis par leurs origines sociales bien différentes, non : les deux protagonistes existent par et pour eux-mêmes.
Aussi ! J’ai adoré le fait qu’Alex ait de la famille séfarade (ce sont les juifs de la péninsule ibérique) et que ce soit si bien exploité, sans pour autant être la seule caractéristique du personnage ! En tant que grosse nerd de la linguistique, j’ai vraiment passé mes meilleurs moments à lire les proverbes disséminés çà et là, écrits dans le dialecte séfarade, qui, ai-je donc découvert, mêle à la fois langues ibérique (portugais/espagnol) et hébreu. Au fil du roman, on découvre de multiples facettes à la personnalité d’Alex et de Darlington… et de multiples facettes à leurs traumas aussi – le pluriel est intentionnel ; qu’on leur prescrive des séances avec un psy ! -.
Leur personnalité est par ailleurs toujours nuancée, et rien n’est ni tout noir, ni tout blanc. En revanche, il faut être prêt psychologiquement à faire face à la tension sexuelle non résolue en cours dans cette série de bouquin. Si vous avez lu Six of Crows sachez que l’autrice arrive à être encore plus frustrante avec ces deux-là qu’avec Kaz-je-te-veux-Inej-mais-je-suis-constipé-émotionnellement et Inej-je-te-veux-sans-armure-Kaz-Brekker.

Leigh Bardugo aime bien glisser des petites – grosses – critiques sociales à travers ses univers magiques, et la Neuvième Maison ne fait pas exception. La magie est ici le catalyseur de cette critique. Que cela soit dans sa pratique ou dans la culture qui en découle, l’élitisme et l’impunité des hautes sphères sociales sont mises en évidence et dénoncées. Tout comme la notion d’ascenseur social, finalement opérationnel que lorsque cela sert les intérêts des élites, mais qui n’est même pas visible le cas échéant.

Bon, mais j’avais parlé de dark academia n’est-ce pas ? On est servi avec la Neuvième Maison qui nous narre les manigances occultes de Yale, université américaine ancienne et prestigieuse s’il en est. Se mêlent alors Histoire, références littéraires, latin, architecture… avec une très grosse pincée de magie loin d’être blanche et de fantômes à la pelle. On déambule dans le campus et la ville comme si on y était, avec toutes sortes d’anecdotes ! Et le latin ! De belles citations, qui ont du sens et qui se traduisent bien ! Quel plaisir ! Cœur sur les recherches entreprises pour l’écriture de ce roman.

Des personnages bien construits, travaillés, et qui cassent la baraque, du latin et du nerdisme littéraire en veux-tu en voilà, le tout saupoudré de critiques sociales et de magie, finement enveloppé par une narration qui déchire ? Direct dans la case coups de cœur !

Mon petit conseil ceci dit, c’est d’attendre la sortie du troisième tome avant de vous lancer dans le second. Si le premier tome ne se termine pas tant que ça sur un cliffhanger, dans le deuxième, en revanche… Disons qu’il est bien abrupte, le cliffhanger, et c’est peu de le dire…